Lomé, 18 Octobre 2024 - Un champignon géant à la place Vendôme, un serpent face à l’Académie française ou une poubelle jaune suspendue sous la verrière impressionnante du Grand Palais. Art Basel Paris, la plus grande foire d’art contemporain en France (qui a remplacé en 2022 la Fiac), a investi la capitale française, jusqu’au 20 octobre. Le cœur battant se trouve au Grand Palais, superbement restauré, où 195 galeries de 44 pays accueillent à partir de ce jour le grand public. Parmi elles, Loft Art Gallery, la première galerie marocaine à être sélectionnée. Entretien avec la directrice et co-fondatrice Yasmine Berrada.
RFI : Êtes-vous fière d’être la première galerie marocaine à participer à Art Basel Paris ?
Yasmine Berrada : C'est très important pour nous et une belle occasion de faire rayonner l'art marocain à l'international. C'est une grande étape pour nous en tant que galeristes, puisque la galerie Loft existe depuis quinze ans. Mais c'est aussi très important en tant que Marocains et une fierté de pouvoir être la première galerie marocaine à représenter le Maroc dans une manifestation aussi prestigieuse.
En Europe, le marché de l'art s’annonce actuellement plutôt difficile. Votre galerie est depuis quinze ans basée à Casablanca et depuis cette année aussi à Marrakech. Quel est l'état actuel du marché de l’art au Maroc ?
Le marché de l'art marocain se maintient bien aujourd’hui. Il n'y a pas encore de ressenti de cette accalmie dont on peut entendre parler dans le marché européen. Mais, on n'en est pas à notre première foire internationale dans cette saison, et quand on était à Londres, nous avons ressenti quand même un petit ralentissement. Pour l’instant, on arrive à tirer notre épingle du jeu. D'abord parce qu'on présente aussi des artistes qui restent dans une côte relativement correcte en termes de prix. Et nous avons eu la chance de présenter des artistes à Londres qui ont eu énormément de succès, même si cela a été un peu plus compliqué que les années précédentes. Sur cette participation à Art Basel Paris, je dois dire que le démarrage a été excellent, notre stand a été extrêmement bien reçu et les gens sont heureux de voir de la nouveauté. Ils découvrent souvent pour la première fois Mohamed Melehi. Du coup, l'accueil, que ce soit au niveau de la presse ou au niveau des collectionneurs, est fabuleux.
Sur votre stand, vous présentez des œuvres de Mohamed Melehi. Sur quoi repose la fascination pour cet artiste marocain, né en 1936, à Assilah, au Maroc, peintre phare de l’École de Casablanca ?
Mohamed Melehi est considéré comme l'un des plus grands artistes marocains. Il est décédé, il y a quatre ans. Il a été le cofondateur de l’École de Casablanca, considéré comme un mouvement fondateur de la modernité au Maroc. C'est un artiste d'avant-garde, qui a su, dans les années 1960, asseoir une certaine modernité, l'abstraction à la marocaine, en venant d'Italie où il a vécu, puis des États-Unis. Donc, il est venu avec un certain bagage occidental et il est revenu dans son pays, le Maroc, en intégrant l’École des Beaux-Arts de Casablanca, alors dirigée par Farid Belkahia. Ensemble, ils ont su redynamiser tout ça et justement asseoir une forme de langage universel avec un ancrage marocain. C'était la naissance de la modernité marocaine. Il a non seulement contribué à cette modernité, mais il a su aussi la faire évoluer dans sa contemporanéité. Ces vagues, ces courbes, ces ondulations répondent à chaque fois à des problématiques de son temps. Pour cela, c'est un artiste énorme.
Les quelques peintures exposées sur votre stand sont suffisantes pour s’apercevoir d’un changement radical dans son art, de la peinture noire aux couleurs vives, jusqu’à une abstraction géométrique rayonnante.
Les œuvres toutes noires, c’est sa période romaine. Ensuite, il va à New York. Il voyage, il rencontre de nouveaux artistes, il est dans le mouvement. En 1963, à Washington, il va faire une très grande exposition de formalistes auprès de très grands noms du monde de l'art contemporain de l'époque, par exemple Mondrian, pour ne citer que lui. Et à ce moment-là, la couleur arrive. Et cette œuvre de 1963 de New York est absolument flamboyante, même 60 ans plus tard.
Ici, les visiteurs au Grand Palais de Paris s’enthousiasment pour vos peintures marocaines. Comment ça se passe-t-il à Marrakech ou à Casablanca ? Proposez-vous surtout des artistes marocains ou aussi maghrébins, subsahariens ou occidentaux ?
Initialement et historiquement, notre galerie est basée à Casablanca. Depuis quelques mois, nous avons ouvert un très grand espace à Marrakech qui est aujourd'hui une ville monde. Donc, nous avons vraiment un public de collectionneurs du monde entier. Notre galerie est une vitrine pour l'art marocain, mais aussi pour l'art du continent africain et de sa diaspora. Pour nous, il est essentiel de vraiment créer des ponts et des dialogues entre le monde occidental et le continent africain. Et on réalise à quel point les ponts et les dialogues sont très présents et beaucoup plus évidents qu'on ne le pense. RFI