Lomé, 14 Septembre 2024 – L'Institut Français du Togo a accueilli l'exposition du livre photographie « Lomé/Paris » de Bernard Brisé le samedi 14 septembre. Le livre Lomé/Paris de Bernard Brisé est préfacé par l’ancien Directeur de l’Institut français du Togo (IFT), Alain Laëron accompagné du texte de Kangni Alem et est paru aux éditions « Le Bord de l’eau ». Il s’agit d’une série de photographiques offrant une plongée captivante dans les imaginaires croisés des deux villes emblématiques, Lomé et Paris. Armé de stéréotypes et de contrastes, Brisé explore les représentations de Paris et Lomé, révélant les contradictions et les chevauchements culturels qui les caractérisent.
Bernard Brisé associe sur une même photographie une personne ou un groupe de personnes réelles à une image d’épinal, une sorte de carte postale emblématique de Paris et de la Tour Eiffel. Pour lui, le processus d’exotisation consiste à déconnecter un lieu et des personnes de leur contexte local et à les replacer dans un autre cadre. Dans son travail, le mur occupe une place essentielle : il joue le rôle de fond, d’élément de décorum qui décontextualise, mais aussi celui de support d’apparitions, d’écran d’images plus ou moins fantomatiques de ce symbole de la capitale française.
Par un effet de surimpression réalisé en post production, il intègre une vue de Paris aux portraits réels afin de n'obtenir qu'une seule image réunissant les deux éléments. Ce Paris à la tour Eiffel, vécu ou fantasmé, destination rêvée par beaucoup car archétype du luxe et de la réussite sociale mais aussi symbole de l'exposition universelle de 1889 et de ces insoutenables villages indigènes érigés à la gloire de l'empire colonial, nourrit l'image telle une mise en abyme aux multiples degrés de lecture. Ici, le paradigme est inversé : l'humain, l'Africain, s'affirme en sujet principal alors que la tour Eiffel investit le décor se muant, à son tour, en une image dérisoirement exotique.
Dans ses photographies, Bernard Brisé confronte deux environnements qui invitent à une nouvelle interprétation, à la lisière de cette cohabitation ambiguë liant réalité et comédie humaine. Entre légèreté et gravité, il questionne de façon allégorique les notions de culture, d'acculturation et d'altérité.
À travers ses photographies, Brisé invite le spectateur à une réflexion profonde sur les symboles et les souvenirs liés aux deux villes. La scénographie met en lumière la présence nostalgique de Paris dans les images de Lomé, et vice versa, créant un dialogue visuel entre les deux réalités urbaines. La série joue avec la perception et la mémoire, tout en offrant une lecture dynamique de l'histoire commune entre la France et le Togo.
L'exposition ne suit pas une structure linéaire, mais plutôt un cheminement visuel qui permet aux visiteurs de tisser leur propre réseau de sens. Chaque image, loin d’être une simple représentation, devient une invitation à une interprétation personnelle enrichie par la contextualisation historique et culturelle. La matrice d'interprétation présente dans chaque photographie guide le visiteur vers une compréhension plus profonde de l'œuvre.
La nostalgie et le rêve jouent un rôle central dans cette exposition. Le wharf de Lomé, un monument métallique dont l'image était autrefois largement diffusée, devient un symbole de la modernité et des rencontres violentes entre cultures. Brisé utilise ce monument pour explorer les projections et les représentations entre Lomé et Paris, offrant ainsi une réflexion sur les relations coloniales et leurs échos contemporains.
Alain Laëron, dans sa préface, mentionne que « la présentation de cette série Lomé/Paris donne à penser au premier regard que l'on pourrait y chercher une syntaxe propre, ou même qu'une structure linéaire organise l'œuvre de Bernard Brisé. L'architecture de ces photographies est en fait beaucoup plus complexe et beaucoup plus simple à la fois. Beaucoup plus complexe parce qu'elle n'est pas rectiligne mais que le cheminement du visiteur se charge progressivement des signes qui lui sont offerts pour créer un réseau de sens et mettre en écho les photographies les unes par rapport aux autres. Beaucoup plus simple, parce que la matrice d'interprétation est présente dans chacune des images et que le visiteur devient vite un visiteur averti.
Découvrir ces photographies, l'une après l'autre, crée ainsi progressivement une compétence chez le visiteur qui va lui-même l'appliquer au bénéfice de l'éclosion d'un système sensible qui fait du travail de Bernard Brisé une œuvre ouverte, disponible aux projections individuelles, aux interprétations nouvelles d'une histoire revisitée par une actualité politique africaine chargée de sentiments ambigus ».
« Lomé, durant l’entre-deux-guerres, avait une identité visuelle, la photo du wharf circulait de Berlin à Paris. Une image d'épinal, dirait-on, en termes photographiques ! L’ouvrage, imposant pour l'époque, était la porte d'entrée de la capitale togolaise, et il reste encore aujourd'hui, de façon nostalgique, malgré sa disparition inéluctable dans les eaux de l'océan Atlantique, la promesse de la modernité d'un pays construit dans la violence des rencontres, la friction des imaginaires. Encore aujourd'hui, on ne vient pas à Lomé sans visiter le wharf, ou ce qu'il en reste, comme on ne va pas à Paris sans visiter la Tour Eiffel, objet de ce travail photographique osé et créatif de mon vieux complice bordelais Bernard Brisé », rappelle Kangni Alem dans son texte.
Pour le nouveau directeur de l’Institut français du Togo (IFT) Stéphane Blanchon, Bernard Brisé aime l’Afrique en général, a un bon regard et de recul sur beaucoup de choses. Il explique qu’« aujourd’hui, notre société c’est le monde de l’image, être prégnant et ce livre est celui d’un auteur aussi proche de la dimension des arts visuels et de la représentation symbolique de chacun, entre deux capitales. Le titre est évocateur, ça veut dire deux capitales qui dialoguent, c’est un livre d’échange. Ce qui est intéressant c’est la possibilité que chacun puisse s’exprimer sur sa représentation, le trajet de chacun et l’humain est mis au centre ». Mon arrivée à Lomé, précise le Directeur, symbolise aussi la relation à construire entre deux populations, deux espaces du monde...
Lomé/Paris de Bernard Brisé est bien plus qu'une simple exposition photographique ; c’est une exploration immersive des imaginaires partagés, une réflexion sur les symboles culturels et un hommage aux relations complexes entre la France et le Togo. L’œuvre invite chacun à réécrire et réinventer l’histoire commune à travers le prisme de ses propres perceptions et souvenirs.
Bernard Brisé a élaboré cette série « Lomé/Paris » lors de deux résidences artistiques menées par l’association Filbleu, la Commission nationale de la francophonie et l’Institut français du Togo (IFT). M. Brisé est diplômé des beaux-arts de Bordeaux, expose régulièrement en France, au Bénin et au Togo. Il a à son actif 8 œuvres entre autres, Apparences immigrées parues en 1998 à Bordeaux aux éditions Le Festin ; Les filles du masque, 2000, Paris, éditions Alternatives ; Bonne année, 2006, Bordeaux, éditons Le Bord de l’eau ; Le Regard à quatre yeux, 2020, Mont-de-Marsan, éditions L’Atelier des Brisants. Farrida Ouro-Adoï