Les rites initiatiques traditionnels de la jeune fille ou « Akpema » en pays Kabyè   

 « Akpéma » est un rite initiatique du peuple Kabyè qui se déroule dans la troisième semaine du mois de juillet, juste après les Evala, dans les quinze cantons de la préfecture de la Kozah. Tout comme le jeune garçon, la jeune fille Kabyè âgée 18 ans subit impérativement ce rite traditionnel afin de pouvoir accéder à la classe des femmes adultes. Comment se pratique ce rite initiatique de la jeune kabyè ? Quelle est son importance pour les jeunes filles ? Des prêtres ou prêtresses traditionnels et des personnes ressources du canton de Lama, dans la commune Kozah 1, se prononcent.

M. Limaziè Assali, la cinquantenaire, prêtre traditionnel (Tchodjo) du village de Lama Kolidè, raconte : depuis la nuit des temps, l’initiation « Akpéma » exige une certaine préparation tant sur le plan psychologique de la jeune fille, matériel (recherche de certains objets) que financier. « Avant les cérémonies Akpéma, les parents de la fille doivent obligatoirement réunir les moyens nécessaires. Il s’agit d’un sac de maïs, d’un sac du sorgho ou petit mille, d’un bidon d’huile rouge, d’un bol de graines du baobab décortiquées, de piment, de sel, ainsi que deux ou trois moutons selon leurs possibilités financières et de la volaille, en plus d’une enveloppe financière », explique le prêtre. Ceci servira, précise-t-il, à faire le sacrifice dans les sanctuaires, à nourrir également les invités tout au long du rituel et à gratifier les accompagnantes des Akpéma qui chantent en l’honneur des familles des initiées. « Tchodjo » Liamziè souligne que lorsque tout cet ensemble de moyens est réuni, les jeunes initiées alors entrent au couvent pour subir les différentes étapes du rite.

Les principales étapes rituelles

Le premier rituel s’appelle « Azola ». Il consiste à faire asseoir la jeune fille sur un tabouret ou (Kpéré en langue locale), devant un petit mortier (Sowa). Après, la tante maternelle de l’initiée vient lui raser la tête et lui faire des cicatrises avec un objet tranchant nommé « Houno » au niveau des joues, avant de procéder à l’immolation de la volaille et la bête en l’honneur des aïeux (Dana). Tout ceci pour implorer la protection des mânes des ancêtres afin que la jeune fille, parcourt sans incident toutes les étapes du long trajet jusqu’au sanctuaire sur la montagne.

Mme Eyawélé Anyhou, prêtresse du couvent de Lama Sahoudè, chargée des rites au sanctuaire explique que depuis leurs maisons respectives, les jeunes filles initiées, têtes rasées sortent toutes nue avec une mince tige ou « Doka » à la main droite, se dirigent vers le lieu sacré dans la montagne sans parler. Elles sont suivies de leurs toutes petites filles non initiées ou « Kakpayissi », âgées de 8 ou 10 ans. La prêtresse souligne que seules les jeunes filles vierges accèdent au lieu sacré, situé dans la montagne Sahoudè. « Toutefois, celles qui ne remplissent pas cette condition de virginité, subissent toutes les étapes initiatiques, sauf l’entrée au sanctuaire », renchérit-elle. Attention, martèle Mme Eyawélé, « malheur aux filles qui ne respectent pas cette prescription en mettant pied dans le lieu sacré : les menstrues se déclenchent immédiatement ou elles se voient poursuivies par les abeilles. Cet acte constitue une honte pour leurs familles et une insulte pour le couvent ». Mme Eyawélé explique qu’une fois que les initiées quittent le couvent, les parents préparent la boisson locale (Tchoukoutou) pour organiser la danse Tchimou dans le cadre de la sortie publique des initiées.

M. Alafia Kpatcha, un autre prêtre traditionnel (Tchodjo) de Lama Poudè, révèle que dans l’antiquité, les filles sont dotées dès leur naissance par un parent qui la voudrait comme épouse de son fils. En ce moment, cette fille est considérée comme une fiancée. L’arrangement se fait alors au niveau des deux familles qui initient des projets allant dans le sens du mariage de leur progéniture. Cet arrangement se traduit par une relation d’entraide qui se concrétise à travers les travaux champêtres, l’apport de don alimentaire et autre jusqu’au moment où la fille en question aura l’âge raisonnable de subir des rites traditionnels « Akpéma ».

Dès que le père de la fille prend la décision de faire les rites initiatiques Akpéma, il entreprend alors des démarches pour avertir son beau parent qui s’organise à son tour pour venir en aide au parent de la fille dans les préparatifs des rites. Au terme des rites Akpéma, la danse « Tchimou » organisée par les parents de la fille peut-être également organisée par le fiancé de la fille initiée. Après le rite Akpéma, les futurs époux se rendent mutuellement visite jusqu’au jour du mariage. Akpénou (l’initiée) est souvent « enlevée » par son fiancé le jour de la danse Tchimou. Cet enlèvement est suivi de cris de joie des parents prononçant la phrase « on a tiré sur une biche », noire ou rouge, selon le teint de la fille et c’est le mariage qui se concrétise.

L’importance du rite initiatique pour les jeunes filles

« Akpéma » est primordiale pour les filles, car il permet à l’initiée de passer à la classe des adultes, de prendre la parole au sein de sa communauté et de participer désormais aux cérémonies funèbres. Ce rite permet également à la fille de connaître ses promotionnelles et même d’avoir le quitus du mariage. Akpénou doit respecter ses parents, plus particulièrement ses tantes et ses oncles et avoir une attitude irréprochable dans la communauté. La jeune initiée a l’obligation d’observer et d’appliquer à la lettre, les règles sociales prescrites, notamment l’abstinence sexuelle avant l’initiation et le mariage, ceci honore ses parents et son respect une fois au foyer conjugal.

Non-respect des règles sociales prescrites

D’après Hodalo Kpatcha une initiée de 2022, l’exigence de l’abstinence avant d’entrer au sanctuaire n’est plus respectée de nos jours par les jeunes filles, ce qui entraine la déperdition des mœurs. « Avec la venue de la religion chrétienne et les nouvelles technologies de la communication qui poussent les jeunes à concrétiser leur amour à partir du sexe, beaucoup de filles se désintéressent de plus en plus de ces rites traditionnels », déplore-t-elle. Elle fait remarquer qu’au regard de cette modernité, certaines dispositions sont en train d’être prises au sein des couvents pour adapter ces nouveaux paramètres aux coutumes afin d’éviter la survenue de certains faits mystiques qui portent atteinte à la dignité humaine. Au nom du respect des droits humains, souligne-t-elle, certains parents optent aujourd’hui pour la pratique du rite initiatique de leurs jeunes filles à l’église. Les rites à ce niveau sont réalisés différemment, les instruments traditionnels, les chants évoquant la puissance des divinités sont inexistants.

Les traditionnels « Akpema » marque le départ d’une génération, draine beaucoup de monde et c’est ce qui constitue le brassage du peuple.

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